Comme une cage de verre : emprise et contrôle coercitif en violence conjugale
Il peut être difficile de comprendre la dynamique à laquelle une personne est confrontée quand on ne regarde que les comportements violents qui sont présents dans une relation. Pour comprendre la violence conjugale, il faut aussi la concevoir sous l’angle du rapport de pouvoir, de la domination et de la privation de liberté.
Pouvoir, domination et contrôle coercitif
Dans une dynamique de violence conjugale, les comportements violents sont utilisés dans le but de créer une relation de contrôle, d’emprise et de domination sur l’autre. Le partenaire violent impose sa volonté, ses opinions, sa façon de faire et sa façon de penser, en utilisant des comportements violents pour y arriver. Il prive ainsi la victime de sa liberté et de son droit de décider pour elle même, dans le confort et le respect.
Une victime qui ne se «laisse pas faire»
Contrairement à ce que nous suggère la croyance populaire, la victime va réagir pour tenter de rétablir l’équilibre des forces. Elle déploie plusieurs stratégies pour y arriver: la rationalisation (essayer de s’expliquer, d’argumenter), la négociation (proposer des compromis), faire appel à la morale (essayer de démontrer à l’autre que ses réactions sont excessives ou que ses attentes sont déraisonnables), faire appel à l’amour (supplier, implorer au nom de la relation), etc. Dans une relation où l’autre ne chercherait pas à imposer son pouvoir, ce serait efficace, mais dans une relation où l’autre veut installer une emprise, les tentatives de la victime sont vouées à l’échec.
La violence réactionnelle de la victime
Quand l’enjeu est important pour la victime et qu’elle n’arrive pas à retrouver son influence légitime, elle risque d’augmenter l’intensité de ses réactions jusqu’à utiliser à son tour des comportements qu’on peut qualifier de coercitifs ou violents: crier, insulter se défendre physiquement, etc. C’est ce qu’on appelle la violence réactionnelle ou résistance violente. Il est important de ne pas confondre les comportements violents de l’agresseur (qui visent à gagner un pouvoir illégitime) et les comportements de violence réactionnelle de la victime (qui visent à regagner un pouvoir légitime ou à se protéger).
De l’impuissance à la culpabilité
Il est important de réaliser à quel point les échecs continuels auxquels une victime fait face dans ses interactions avec son partenaire sont néfastes pour son estime et pour sa confiance en soi. Elle se retrouve avec un sentiment d’impuissance très important qui peut se généraliser à toutes les autres sphères de sa vie. De plus, comme le partenaire violent augmente l’intensité de sa violence dès que la victime tente de rétablir le pouvoir, et qu’il utilise sa violence réactionnelle pour lui démontrer qu’elle «ne fait pas mieux que lui», elle risque fort de se sentir responsable de la situation.
Juste avant mon party de bureau, il m’a prise par les épaules de force devant le miroir. Il me disait que je m’étais maquillée comme une «guidoune». Je l’ai supplié d’arrêter. Il disait que je voulais impressionner quelqu’un. J’avais beau lui dire que ce n’était pas vrai, essayer de le raisonner, lui dire que c’est à lui que je voulais plaire, il continuait. J’étouffais. J’ai fini par crier après lui et j’ai griffé sa main en essayant de me déprendre. Il m’a lâché en me traitant « de cr*ss de folle ». Lors de la soirée, une collègue est venue me dire qu’il montrait son égratignure à tout le monde, et qu’il leur demandait comment ils me trouvaient au bureau, parce que j’étais agressive à la maison et qu’il ne savait plus quoi faire…
FEMME – 51 ANS – SURVIVANTE
S’affranchir de la violence
Quand on écoute parler les survivantes de violence conjugale, on réalise à quel point la « sorte » tient de l’affranchissement et de la reprise du pouvoir. On réalise aussi que cette libération se fait graduellement plutôt que lors d’un seul moment charnière. C’est un processus qui commence bien avant une éventuelle rupture, et qui continue longtemps par la suite, jusqu’à une réelle libération. A chaque fois qu’une victime fait un choix pour elle même, qu’elle retrouve un peu de pouvoir, d’espace, de sécurité, de confort, de compréhension ou d’ouverture… c’est un lien qui se brise, un fil de moins dans la toile d’araignée, un pas de plus vers la liberté.
Pour plus d’information
Démasquer la violence conjugale
De mal en pis : l’escalade de la violence
Mais pourquoi j’y ai cru ? : Le cycle de la violence
Pour encore plus d’information
Isabelle Côté et Simon Lapierre (2021). Pour une intégration du contrôle coercitif dans les pratiques d’intervention en matière de violence conjugale au Québec. Intervention, Vol 153
*Bien que la violence conjugale touche majoritairement des femmes, elle peut aussi toucher les hommes et les personnes issues de la diversité sexuelle et de genre. Les services de SOS violence conjugale sont offerts à toutes les personnes touchées par la problématique.